Une grenouille bénie, à la fin de sa métamorphose, sort de son nid, prête à la prose.
« Cette résurrection m’a ouvert l’appétit, je mangerais un boeuf tellement j’ai faim ! »
« Tiens il pleut, est-ce les larmes de la grande-mare d’en haut où est-ce le nectar désaltérant des grandes et divines ombres ? »
« Il me faudrait une échelle pour voir ça de plus près, avec méfiance, car les voies des grandes ombres sont impénétrables, surtout les 4 voies, en effet voyez-vous autant ces puissantes divinités peuvent vous désaltérer d’un doucereux nectar doré, autant quand leur colère est grande nous manger les pattes elles peuvent… ou pire nous prendre pour des boules de cristal et lire l’avenir dans nos entrailles, scalpel en main. »
« Heureusement que la grande-mare nous protège, que nous sommes bénies, ô grande-mare, nous remonterons toutes à la grande-mare d’en haut d’où nous ancêtres sont venus, en une seule pluie, moi je vous le dis. »
« Parfois la grande-mare possède l’esprit des grandes ombres et les transforment en hommes-grenouilles, même qu’ils peuvent se retrouver à avoir des grenouilles dans le ventre sans que nous y soyons pour quelque chose, c’est aussi un signe, le pouvoir de la grande-mare est grand un point-c’est-tout. »
Un crapaud arriva (il n’y a pas de grenouille qui ne trouve son crapaud), il avait tout entendu et se permit une crapounade :
« Kooaaaa ?? »
« Mais qu’est-ce que tu racontes, les grandes ombres ne sont que de grands pédants qui parfois teintent de leur sang nos mares tellement ils sont méchants entre eux-mêmes . De plus ce que tu appelles nectar, n’est que leur urine ! »
La grenouille, courroucée lança :
« Ne vois-tu pas ce temps de grenouille bénir ma foi, ô impie et infidèle crapaud ! Arrête de te prendre pour un dieu, en fermant tes yeux et en mettant ta bouche en forme de coeur devant chaque grande ombre femelle qui surgit, pour qui te prend-tu, misérable et grossier crapaud de sacristie ? Si l’esprit de la grande-mare ne te plait pas, va baver ailleurs pour ta paroisse. »
« Idiote grenouille de bénitier! l’esprit de la grande-mare est en moi, où que j’aille. »
Et le crapaud s’en alla, en secouant la tête tout en regardant le ciel.
« Ouf bon débarras quel gros lourd celui-là, qu’il aille jouer du banjo et tomber dans l’eau ça lui fera les pattes. Son incrédulité envers la vraie foi sonnera sa fin, car le jugement approche, oui le jugement de la grande-mare qui nous purifiera tous. »
Le crapaud qui revenait à sa demeure y trouva ses disciples.
« Ô grand maitre, connaissez-vous cette barbare de grenouille, formaliste et frustrée qui professe à qui veut l’entendre la fin des haricots et le beaujolais nouveau ? »
« Hélas mes enfants… cet esprit dérangé se croit être une blanche colombe. »
Toute l’assemblée prit un air moqueur et approbateur.
Un disciple futé prit la parole :
« Moi je pense que les grenouilles se convertissent à notre foi juste avant de mourir, car quand les grandes ombres les avalent, elles sont en position du lotus. »
Le maitre manqua de s’étouffer à cette parole, puis reprit son sérieux :
« Ne craignez rien mes disciples grâce à l’enseignement du sage Bufo, rien ne pourra plus vous faire avaler des couleuvres. »
La grenouille qui, accompagnée de ses bigotes, avait suivi le maitre sans se faire remarquer, fit irruption dans l’assemblée :
« Bande de petits têtards ! vous qui rêvez tous de l’illumination de vous retrouvez en prince charmeur, non, mais regardez-vous petites masses gluantes et repoussantes ! »
Les crapauds et les grenouilles s’énervèrent et chacun essayait de prendre le dessus, en criant le plus fort possible.
C’est ainsi que de tout temps et parfois même, surtout de temps de grenouille, cette cacophonie se fait toujours entendre :
« Koa! koa! koa! koaaa! koaaa! Koaaaaa! koAAaa! kOOaaa! koaoaa! ccoaa! coaaa! coaaa!»
Sous le croassement de la lune,
Coassement permanent.
(Et si par aventure un sage vous montre la lune du doigt, faites-vous plaisir : mangez le doigt.)
La grenouille est un animal fascinant, elle tire une partie de son symbolisme du fait qu’elle évolue dans un milieu semi-aquatique, il n’y a qu’à faire quelques pas au musée du Louvre dans une salle des antiquités égyptiennes pour y découvrir toutes ces petites amulettes en forme de grenouilles, ouvragées de manière précise et minutieuse.
D’ailleurs Aheqet, une divinité à tête de grenouille, est logiquement associée à la fécondité, idem pour les amérindiens (où la sécheresse sévissait).
Dans notre culture, où la nature se fait moins austère, le chant des grenouilles n’est pas l’appel de la pluie mais un incessant dérangement auditif, Saint-Augustin avec une tolérance toute chrétienne, disait souvent, « Le ciel tonne, que se taisent les grenouilles. »
A notre époque, le chant naturel des grillons et des grenouilles est bel et bien le signe agréable d’une présence vivante et d’un climat favorable dans un contexte de changement climatique et de disparition des espèces, et dieu que cela est doux à nos oreilles…