La version grecque de Parthénios:
« C’est ainsi que l’histoire de Daphné, fille d’Amyclas, est racontée. Elle n’allait jamais dans la cité, ni ne s’associait avec les autres jeunes filles ; mais elle avait des meutes nombreuses, en Laconie et dans les lointaines montagnes du Péloponnèse. Par sa passion de la chasse, elle était devenue chère à Artémis, qui lui avait donné le don de viser juste. Un jour, elle dut traverser l’Elide, et là Leucippe, fils d’Oenomaos, tomba amoureux d’elle ; il résolut de ne pas la courtiser de la manière traditionnelle, mais se revêtit de vêtements féminins et la rejoignit à la chasse. Et il advint qu’elle devint rapidement très attachée à lui, ne voulant pas qu’il s’éloigne, l’embrassant et s’accrochant à lui tout le temps. Mais Apollon était aussi amoureux de la jeune fille, et c’est avec un sentiment de colère et de jalousie qu’il vit Leucippe avec elle ; il lui mit dans l’esprit d’aller se baigner dans un fleuve avec ses suivantes. À leur arrivée, elles commencèrent à se déshabiller, et quand elle virent que Leucippe n’était pas près à suivre leur exemple, elles lui ôtèrent ses vêtements de force et, lorsqu’elles constatèrent qu’elles avaient été trompées et qu’il avait ourdi un complot contre elles, elles plongèrent leurs lances dans son corps. Mais il disparut, par la volonté des dieux. Daphné, qui voyait Apollon s’avancer vers elle, s’enfuit et, comme il la poursuivait, elle implora Zeus d’être soustraite de la vue des mortels. Et l’on suppose qu’elle est devenue l’arbre qui porte son nom en grec, le laurier. »
La version latine d’Ovide d’après ses « métarmorphoses »:
« Daphné, fille du fleuve Pénée, fut le premier objet de la tendresse d’Apollon. Cette passion ne fut point l’ouvrage de l’aveugle hasard, mais la vengeance cruelle de l’Amour irrité. Le dieu de Délos (Apollon), fier de sa nouvelle victoire sur le serpent Python, avait vu le fils de Vénus (Éros ou, en latin, Cupidon, dieu de l’amour) qui tendait avec effort la corde de son arc : « Faible enfant, lui dit-il, que prétends-tu faire de ces armes trop fortes pour ton bras efféminé ? Elles ne conviennent qu’à moi, qui puis porter des coups certains aux monstres des forêts, faire couler le sang de mes ennemis, et qui naguère ai percé d’innombrables traits l’horrible Python qui, de sa masse venimeuse, couvrait tant d’arpents de terre. Contente-toi d’allumer avec ton flambeau je ne sais quelles flammes, et ne compare jamais tes triomphes aux miens. »
L’Amour répond : « Sans doute, Apollon, ton arc peut tout blesser; mais c’est le mien qui te blessera; et autant tu l’emportes sur tous les animaux, autant ma gloire est au-dessus de la tienne ». Il dit, et frappant les airs de son aile rapide, il s’élève et s’arrête au sommet ombragé du Parnasse : il tire de son carquois deux flèches dont les effets sont contraires; l’une fait aimer, l’autre fait haïr. Le trait qui excite l’amour est doré; la pointe en est aiguë et brillante : le trait qui repousse l’amour n’est armé que de plomb, et sa pointe est émoussée. C’est de ce dernier trait que le dieu atteint la fille de Pénée; c’est de l’autre qu’il blesse le cœur d’Apollon. Soudain Apollon aime; soudain Daphné fuit l’amour : elle s’enfonce dans les forêts, où, à l’exemple de Diane, elle aime à poursuivre les animaux et à se parer de leurs dépouilles : un simple bandeau rassemble négligemment ses cheveux épars.
Plusieurs amants ont voulu lui plaire; elle a rejeté leur hommage. Indépendante, elle parcourt les solitudes des forêts, dédaignant et les hommes qu’elle ne connaît pas encore, et l’amour, et l’hymen et ses nœuds. Souvent son père lui disait « ma fille, tu me dois un gendre »; il lui répétait souvent « tu dois, ma fille, me donner une postérité ». Mais Daphné haïssait l’hymen comme un crime, et à ces discours son beau visage se colorait du plus vif incarnat de la pudeur. Jetant alors ses bras délicats autour du cou de Pénée : « Cher auteur de mes jours, disait-elle, permets que je garde toujours ma virginité. Jupiter lui-même accorda cette grâce à Diane ». Pénée se rend aux prières de sa fille. Mais, ô Daphné ! que te sert de fléchir ton père ? ta beauté ne te permet pas d’obtenir ce que tu réclames, et tes grâces s’opposent à l’accomplissement de tes vœux.
Cependant Apollon aime : il a vu Daphné; il veut s’unir à elle : il espère ce qu’il désire; mais il a beau connaître l’avenir, cette science le trompe, et son espérance est vaine. Comme on voit s’embraser le chaume léger après la moisson; comme la flamme consume les haies, lorsque pendant la nuit le voyageur imprudent en approche son flambeau, ou lorsqu’il l’y jette au retour de l’aurore, ainsi s’embrase et brûle le cœur d’Apollon; et l’espérance nourrit un amour que le succès ne doit point couronner.
Il voit les cheveux de la Nymphe flotter négligemment sur ses épaules : Et que serait-ce, dit-il, si l’art les avait arrangés ? Il voit ses yeux briller comme des astres; il voit sa bouche vermeille; il sent que ce n’est pas assez de la voir. Il admire et ses doigts, et ses mains, et ses bras plus que demi nus; et ce qu’il ne voit pas son imagination l’embellit encore. Daphné fuit plus légère que le vent; et c’est en vain que le dieu cherche à la retenir par ce discours :
« Nymphe du Pénée, je t’en conjure, arrête ! ce n’est pas un ennemi qui te poursuit. Arrête, nymphe, arrête ! La brebis fuit le loup, la biche le lion; devant l’aigle la timide colombe vole épouvantée : chacun fuit ses ennemis; mais c’est l’amour qui me précipite sur tes traces. Malheureux que je suis ! prends garde de tomber ! que ces épines ne blessent point tes pieds ! que je ne sois pas pour toi une cause de douleur ! Tu cours dans des sentiers difficiles et peu frayés. Ah ! je t’en conjure, modère la rapidité de tes pas; je te suivrai moi-même plus lentement. Connais du moins l’amant qui t’adore : ce n’est point un agreste habitant de ces montagnes; ce n’est point un pâtre rustique préposé à la garde des troupeaux. Tu ignores, imprudente, tu ne connais point celui que tu évites, et c’est pour cela que tu le fuis. Les peuples de Delphes, de Claros, de Ténédos, et de Patara, obéissent à mes lois. Jupiter est mon père. Par moi tout ce qui est, fut et doit être, se découvre aux mortels. Ils me doivent l’art d’unir aux accords de la lyre les accents de la voix. Mes flèches portent des coups inévitables; mais il en est une plus infaillible encore, c’est celle qui a blessé mon cœur. Je suis l’inventeur de la médecine. Le monde m’honore comme un dieu secourable et bienfaisant. La vertu des plantes m’est connue; mais il n’en est point qui guérisse le mal que fait l’Amour; et mon art, utile à tous les hommes, est, hélas ! impuissant pour moi-même. »
Il en eût dit davantage; mais, emportée par l’effroi, Daphné, fuyant encore plus vite, n’entendait plus les discours qu’il avait commencés. Alors de nouveaux charmes frappent ses regards : les vêtements légers de la Nymphe flottaient au gré des vents; Zéphyr agitait mollement sa chevelure déployée, et tout dans sa fuite ajoutait encore à sa beauté. Le jeune dieu renonce à faire entendre des plaintes désormais frivoles : l’Amour lui-même l’excite sur les traces de Daphné; il les suit d’un pas plus rapide. Ainsi qu’un chien gaulois, apercevant un lièvre dans la plaine, s’élance rapidement après sa proie dont la crainte hâte les pieds légers; il s’attache à ses pas; il croit déjà la tenir, et, le cou tendu, allongé, semble mordre sa trace; le timide animal, incertain s’il est pris, évite les morsures de son ennemi, et il échappe à la dent déjà prête à le saisir : tels sont Apollon et Daphné, animés dans leur course rapide, l’un par l’espérance, et l’autre par la crainte. Le dieu paraît voler, soutenu sur les ailes de l’Amour; il poursuit la nymphe sans relâche; il est déjà prêt à la saisir; déjà son haleine brûlante agite ses cheveux flottants.
Elle pâlit, épuisée par la rapidité d’une course aussi violente, et fixant les ondes du Pénée : « S’il est vrai, dit-elle, que les fleuves participent à la puissance des dieux, ô mon père, secourez-moi ! ô terre, ouvre-moi ton sein, ou détruis cette beauté qui me devient si funeste » ! À peine elle achevait cette prière, ses membres s’engourdissent; une écorce légère presse son corps délicat; ses cheveux verdissent en feuillages; ses bras s’étendent en rameaux; ses pieds, naguère si rapides, se changent en racines, et s’attachent à la terre : enfin la cime d’un arbre couronne sa tête et en conserve tout l’éclat. Apollon l’aime encore; il serre la tige de sa main, et sous sa nouvelle écorce il sent palpiter un cœur. Il embrasse ses rameaux; il les couvre de baisers, que l’arbre paraît refuser encore : « Eh bien ! dit le dieu, puisque tu ne peux plus être mon épouse, tu seras du moins l’arbre d’Apollon. Le laurier ornera désormais mes cheveux, ma lyre et mon carquois : il parera le front des guerriers du Latium, lorsque des chants d’allégresse célébreront leur triomphe et les suivront en pompe au Capitole : tes rameaux, unis à ceux du chêne, protégeront l’entrée du palais des Césars; et, comme mes cheveux ne doivent jamais sentir les outrages du temps, tes feuilles aussi conserveront une éternelle verdure. »
Il dit, et le laurier, inclinant ses rameaux, parut témoigner sa reconnaissance, et sa tête fut agitée d’un léger frémissement. »
Fête et couronne
Le Daphnephoria était une célébration thébaine dédiée à Apollon.
Détails d’une couronne de laurier antique ouvragée sur le site du louvre, avec feuilles et baies.
La couronne de la victoire, qu’elle soit artistique, politique ou militaire était toujours le signe qu’à un moment donné l’homme pouvait percer les nuages et dépasser sa condition humaine en un éclair de génie. Car comme précédemment dit, survivre aux ténèbres de l’hiver était un luxe que quelques végétaux seulement pouvaient se permettre, une leçon végétale qui nous rappelle à chaque instant que l’on doit ne pas se laisser obscurcir par la morosité…hivernale.