Le voile d’Isis

Le voile d'Isis

Quand les vapeurs de la vallée s’élèvent devant moi, qu’au-dessus de ma tête le soleil lance d’aplomb ses feux sur l’impénétrable voûte de l’obscure forêt, et que seulement quelques rayons épars se glissent au fond du sanctuaire ; que, couché sur la terre dans les hautes herbes, près d’un ruisseau, je découvre dans l’épaisseur du gazon mille petites plantes inconnues ; que mon cœur sent de plus près l’existence de ce petit monde qui fourmille parmi les herbes, de cette multitude innombrable de vermisseaux et d’insectes de toutes les formes ; que je sens la présence du Tout-Puissant qui nous a créés à son image, et le souffle du Tout-Aimant qui nous porte et nous soutient flottants sur une mer d’éternelles délices : mon ami, quand le monde infini commence ainsi à poindre devant mes yeux, et que je réfléchis le ciel dans mon cœur comme l’image d’une bien-aimée, alors je soupire et m’écrie en moi-même : « Ah ! si tu pouvais exprimer ce que tu éprouves ! si tu pouvais exhaler et fixer sur le papier cette vie qui coule en toi avec tant d’abondance et de chaleur, en sorte que le papier devienne le miroir de ton âme, comme ton âme est le miroir d’un Dieu infini !… » Mon ami… Mais je sens que je succombe sous la puissance et la majesté de ces apparitions.
Goethe – Werther – 1845

Cet extrait est un véritable clin d’œil aux artistes et aux photographes amateurs que nous sommes. C’est une ode à la démarche orphique que nous avons adoptée:

« Si, au contraire, l’homme se considère comme partie de la nature, parce que l’art est déjà présent, d’une manière immanente, dans la nature, il n’y a aura plus opposition entre la nature et l’art, mais l’art humain, surtout dans sa finalité esthétique sera en quelque sorte le prolongement de la nature, et il n’y aura plus alors rapport de domination entre entre la nature et l’homme. L’occultation de la nature ne sera pas perçue comme une résistance qu’il faudra vaincre, mais comme un mystère auquel l’homme peut être peu à peu initié. » Pierre Hadot

Pierre Hadot aborde dans son ouvrage de multiples facettes sur le sujet de la nature qu’il serait difficile d’évoquer brièvement, voici seulement quelques citations :

Sur les mystères

« Je suis tout ce qui a été, qui est et qui sera, et mon habit, aucun mortel ne l’a encore soulevé. » Inscription sur une statue de Neith, déesse égyptienne assimilée à l’époque gréco-romaine à Athéna et à Isis.

Il y a toujours un mystère lorsque l’on cherche un « comment », une fois résolu il y a toujours autre « comment » derrière, seul subsiste le pourquoi, mais pourquoi ?

« Quel est le plus difficile de tout? Ce qui te paraît le plus facile :
Voir avec tes yeux ce qui se trouve devant tes yeux ! » Goethe

Une sentence moins solennelle de celle de Socrate, « Connais-toi toi même », et qui plairait à un adepte du zen.

Mieux vaut ne pas trop en savoir ?

« Vaut-il la peine de soulever le voile,
Là où la terreur menace ?
Seule l’erreur est la vie
Et la Vérité est la mort. » Cassandre de Friedrich von Schiller.

La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil, dit-on(René Char).

« Respecte le mystère,
Que tes yeux ne se laissent pas aller à la convoitise.
La Nature-Sphinx, chose monstrueuse,
Te terrifiera avec ses innombrables seins. » Goethe

La nature n’est pas qu’un long fleuve tranquille, terreurs et angoisses menacent celui qui d’autant plus ne prend garde à porter un regard intérieur sur ses intentions.

L’auteur

Le passé de prêtre de Pierre Hadot allié à ses grandes études lui ont permis de poser un regard sage et pragmatique à travers une philosophie naturelle et non plus conceptuelle.

« Pour ma part, je crois que la fonction de la philosophie, c’est d’apporter une lucidité et, du coup, une conscience plus grande de la plénitude de l’existence. » Pierre Hadot, extrait du lien ci-dessous.

Éprouver d’une manière cosmique

«Un aphorisme n’a pas besoin d’être vrai, mais il doit survoler la vérité. Il doit la dépasser d’un trait.» Karl Kraus
Le génie doit pouvoir la prendre au vol.

« Croirai-je, me dis-tu, aux enseignements des maîtres de la sagesse, aux paroles qu’une foule de disciples proclament comme des dogmes certains ? La science seule peut-elle me conduire à une paix assurée ? Le bonheur et la justice reposent-ils sur un échafaudage de systèmes ? Dois-je me défier de ce mouvement intérieur, de cette loi que tu as toi-même, ô nature, gravée dans mon sein, avant que l’école imprimât son cachet sur une sentence éternelle et que mon esprit ardent fût enchaîné par de rigoureuses formules ? Dis-moi, toi qui es descendu dans ses profondeurs, ce que l’on rapporte de la poussière des tombeaux ; dis-moi ce qu’il y a de caché dans l’obscurité des morts, et si les vivants doivent chercher parmi des momies leur consolation. Dois-je m’aventurer dans ces routes ténébreuses ? Elles m’effrayent, je l’avoue ; mais je les suivrai cependant si elles doivent me conduire à la vérité.

— Mon ami, tu connais cet âge d’or dont les poètes nous ont fait de naïfs et touchants récits ; tu connais ce temps où la vertu habitait la terre, où le sentiment se conservait encore dans sa virginale pudeur, où la loi qui gouverne le cours des astres et anime le germe caché dans l’œuf, où l’arrêt continu de la destinée qui agite la poitrine de l’homme libre, où les sens fidèles ramenaient l’homme à la vérité, et, de même que l’aiguille nous indique l’heure, lui indiquaient l’Éternel. Alors, il n’y avait point de profanes et point d’initiés. On n’allait pas chercher parmi les morts ce qu’on éprouvait dans la vie même. Chacun comprenait également les règles éternelles et chacun ignorait également la source d’où elles découlaient. Ce temps de félicité n’est plus. Un présomptueux orgueil a troublé le calme divin de la nature. Le sentiment dégradé n’est plus l’oracle des Dieux, et leur parole se tait dans les cœurs avilis. L’esprit seul l’entend encore lorsqu’il s’interroge dans le calme, et des paroles mystiques en voilent le sens sacré. Le sage invoque cet oracle dans la pureté de son âme, et la nature le ramène à la vérité. Heureux homme ! n’as-tu jamais perdu ton ange gardien ? n’as-tu point méconnu les salutaires avertissements de ta conscience ? La vérité se reflète-t-elle encore sans nuages dans tes yeux ? Sa voix résonne-t-elle dans ton sein candide ? L’agitation du doute n’est-elle pas entrée dans ton esprit ? penses-tu pouvoir l’éloigner à jamais de toi ? Penses-tu que tes sentiments en discorde n’auront pas besoin d’un juge, que la perversité du cœur ne troublera jamais ton intelligence ? S’il en est ainsi, abandonne-toi à ta précieuse innocence, la science n’a rien à t’enseigner, c’est à toi au contraire à devenir son maître. Elle n’est pas faite pour toi cette loi qui conduit l’être chancelant avec une verge d’airain. Agis comme il te plaît, voilà ta loi. Les races futures admireront l’œuvre sainte façonnée par tes mains et les saintes paroles prononcées par ta bouche. Toi seul, tu ne remarques pas le Dieu qui réside en ton sein, et la puissance du sceau qui t’assujettit les esprits ; tu continues, calme et modeste, ta route à travers le monde que tu as subjugué. » Le génie, Schiller.


Interview de l’auteur du voile d’Isis sur Philomag.
Sa biographie sur wikipédia.

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  1. Voilà que je viens de me renseigner succintement sur l’auteur et l’ouvrage! Il y a sans doute dans ce livre matière à réflexion bien approfondie.Juste une petite remarque tirée de mon expérience: plus on cherche à comprendre et à savoir comment fonctionne un insecte dans le système où il vit, plus les questions se posent! Chaque fois qu’on pense avoir résolu un mystère, d’autres inconnues s’opposent à nous.
    Bonne journée et merci pour cette source de réflexion stimulante.

  2. Salut Lucie tu as bien raison non seulement la nature est si vaste qu’une vie humaine ne suffirait pas à percer tout ses mystères et pourtant elle est là sous nos yeux, en vérité, un peu fractale comme disait Cathy, en perpétuel changement et en même temps si fragile.
    Bonne soirée.

  3. Je par­tage entiè­re­ment vos avis!
    C’est fabuleux que certains humains soient capables d’exprimer une ressenti aussi intense.
    Je suis en plein dans les 3fourmis » de B.Werber…
    Quelle matière à réflexion, là aussi!!
    Bonne soirée, Zip!

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