J’ai vu apparaitre dans la presse locale une tendance à publier des articles soulignant la transmission générationnelle dans un métier vieux comme le monde, la profession d’agriculteur éleveur.
Ce qui était effrayant, ce sont les commentaires sur internet qui s’y greffaient, souvent des opinions tranchées qui soulevaient toutefois des questions complexes sur la nature de la vie et l’éthique.
Ce contraste entre l’encouragement d’une pratique professionnelle proche de la terre, et la virulence des commentaires était frappant.
J’ai remarqué par la suite que nombre de ces commentaires avaient été supprimés, une modération qui souligne le caractère polémique du sujet.
Si le droit animal se révèle ainsi, involontairement ou non, relégué en un non-sujet, il ne faudra pas s’étonner de voir l’avenir de ce métier devenir lui-même un non-sujet sans qu’il n’y ait eu la moindre chose à en redire !
Il est ce genre de paradoxe, épineux, dérangeant, avec lequel on se prend des gifles, et plutôt que de répliquer sans réfléchir, il faut se poser des questions.
D’où et pourquoi, entre autres.
Qu’est-ce qui motive la gifle de gauche bim, et celle de droite boum.
Rien ne se fait sans raison et sur le coup il est rare de trouver une explication suffisamment claire pour éclairer notre positionnement.
Le paradoxe implique qu’il sera difficile de se reposer sur une réponse toute faite.
Pouvons-nous toutefois au moins reconnaitre la diversité des tenants afin de comprendre la portée des aboutissants.
Il ne faut pas se mentir, la nature est paradoxale, nos actions sont paradoxales.
Et le progrès technique semble avoir progressé plus rapidement que le progrès humain.
Poser le problème
Est-il immoral de se passionner pour l’élevage d’animaux destinés à être abattus ?
Une question qui en contient une autre
Est-il immoral de tuer des animaux, donc de consommer de la viande ?
Une nouvelle question paradoxale(paradoxe moral)
Puisque nous sommes des êtres vivants, il semble contre nature d’être favorable à toute forme d’atteinte à l’existence de tout être vivant.
Or la vie est souvent possible et permise grâce à l’absorption de matières organiques provenant d’autres êtres vivants.
Rappel historique
La domestication d’animaux herbivores permit aux hommes de passer d’un mode de survie nomade à des civilisations sédentaires.
Dans un contexte compétitif et d’accroissement de la population, cette pratique, l’élevage, devint essentielle à la survie et au développement des peuplades grégaires.
La finalité étant le plus souvent l’alimentation, encouragée depuis toujours pour ses bénéfices directs et indirects, économie annexe, telle que transport, boucheries, etc.
De nos jours, les structures sociétales étatiques ne sont pas végétariennes, et le paysage naturel témoigne de pratiques profondément ancrées.
Or dès les premières civilisations, une idée du végétarisme se développe, qui se manifeste par une posture s’érigeant contre la violence du fait de prendre des vies, et les souillures que cela engendre.
De plus à une époque moderne dite de progrès le productivisme a grandement fracturé le lien entre l’homme et son environnement.
Récap
Nous sommes faces à un paradoxe vie/mort.
Peut-on célébrer la vie en organisant la mort d’êtres vivants ?
Une affaire complexe
Seulement l’éleveur prend-il plaisir à voir partir ses animaux à l’abattoir ?
Il semble raisonnable de répondre non, en général.
Sa passion ne réside-t-elle pas dans la pratique d’un labeur utile et essentiel, aux valeurs simples qui répondent à un besoin primaire ?
Malgré tout, l’élevage est-il vital pour une société ayant suffisamment évolué pour être capable de s’en passer ?
Il semble tentant de répondre non.
D’autant plus qu’au vu des dérives des productions intensives et d’une potentielle nocivité pour la santé, il est important de poser des limites.
Ce débat éthique trouve une amplification dans des sociétés développées et non plus dépendantes d’une faible diversité de ressources.
Et plus intensément en celles-ci parmi la population la moins rurale, celle qui était pourtant la plus propice à dissocier l’idée de la viande et de l’animal.
Quelques clés philosophiques
Une morale douteuse
La morale est ce qui est bien ou mal suivant un point de vue défini par son acteur et son contexte.
Chaque être vivant pourrait définir sa morale suivant ce qui favorise et défavorise son existence.
Chaque être vivant peut avoir une morale différente voir contraire d’un autre être vivant.
Le but d’un être vivant est d’exister.
Comme la Nature est constituée de l’ensemble du règne du vivant, sa morale consisterait à favoriser les moyens de la possibilité d’existence aux êtres qui la compose.
Malgré leurs propres natures et morales antagonistes.
D’où l’idée pour un être vivant d’une Nature amorale, car sa morale ne coïnciderait pas totalement avec la sienne puisqu’elle peut acquiescer au bien d’un autre qui lui est néfaste.
La morale ne semble donc pas nécessairement pourvue de valeur universelle conciliatrice.
Une morale biaisée
La morale est portée par l’idéal, un idéal souvent parfait.
Or toute perfection est rarement atteinte et atteignable.
Pourtant tendre vers cette perfection semble être la voie à suivre.
Mais rien ne peut être complètement parfait et ne peut être sans l’imperfection qui participe par opposition à sa raison d’être.
Une morale indispensable et insensée
La morale est toutefois le meilleur moyen de garantir une cohésion communautaire.
Ce sont les débordements et dérives qui façonnent les briques de la morale.
Elle semble ainsi pourvoir à l’égalité et la justice.
Mais son caractère raisonnable ne semble avoir qu’une conséquence relative si l’on observe les faits.
Divergences et interdépendance
Le traitement de l’animal par l’homme fait miroir au traitement de l’homme par l’homme.
Ainsi suivant le modèle de la déclaration des droits de l’homme une déclaration des droits de l’animal vit le jour.
Face à l’arrogance de l’espèce souveraine, le zoocentrisme semblait menacer de son antihumanisme, le clivage est alors inévitable.
Mais on peut reconnaitre que la diversité enrichit le rapport de conscience dans les interactions du vivant.
Spécisme et antispécisme contribuent ensemble à une réflexion sur un respect à adopter entre chaque espèces et à la capacité de remettre en question les comportements à l’intérieur de notre propre groupe.
Éthique du vivant
Définition du vivant (gros Doss’)
La validation d’un être à être vivant dépend de plusieurs critères.
Il ne se contente pas d’être, justement, l’existant n’est pas nécessairement vivant dans ce cadre et vivre nécessite d’exister.
Ce que nous considérons comme vivant semble tenir à une capacité de stocker de l’information qui se transmet et s’adapte.
Un subsistant, en comparaison du non-vivant.
Ce stockage d’information réduit la fatalité d’une exposition à une interaction permanente et permet à une individualité d’émerger.
Une individualité qui use de sa spécificité pour se complexifier jusqu’à produire un être capable d’un contrôle relatif sur son degré d’interaction dans un environnement dont il n’est pas entièrement distinct.
L’aboutissement le plus fascinant de ce long processus évolutif et adaptatif est la conscience.
C’est probablement l’outil le plus sensationnel pour maintenir une continuité persistante.
Un outil indispensable pour envisager le soi et le monde.
Et c’est ainsi que le vivant créer l’altérité pour mieux résister à l’altérable.
Cela nous éclaire peut-être mieux sur la transition progressive de l’existant à travers le spectre non vivant/vivant.
Les branches voisines
Arbre de vie interactif, ludique et didactique : Tree of life explorer.
Les espèces proches de nous sur l’arbre du vivant sont les plus aptes à éveiller une reconnaissance d’êtres situés dans le même élan vital.
Un élan vital fait de souffrance, d’émotions, de communication, etc.
Et surtout d’une propension à défier l’impossible, que représente la vie.
Interactions du vivant
Dans le monde du vivant, l’homme peut théoriser une éthique basée sur le respect de l’existence.
Cela peut s’articuler autour des interactions entre les êtres vivants.
- Interaction néfaste : prédation, parasitisme
- Interaction neutre : commensalisme
- Interaction positive : mutualisme
À première vue, une morale se dessine, où en tant qu’homo sapiens nous ne pouvons guère échapper à une classification négative, étant nous même néfastes(comme beaucoup d’autres).
Pourtant nous évoluons avec la totalité de toutes ces stratégies d’interaction, en effet nous sommes certes des prédateurs de certains végétaux, de certains animaux, de certains champignons.
Mais nous sommes aussi en symbiose avec de nombreuses bactéries de notre microbiome et l’énergie solaire nous permet de synthétiser de la vitamine D.
Quelle serait alors la forme de vie idéale ?
Une autre classification basée sur le mode de nutrition permet d’entrapercevoir le mode de vie idéalement conforme au respect de tout être vivant :
- Hétérotrophe : Préleveurs de matière organique
- Autotrophe : Sans absorption de matière organique
- Mixotrophe : Hétérotrophe et autotrophe
Une plante qui serait autotrophe semblerait être le type d’être vivant idéal, se nourrissant uniquement de soleil et de minéraux, la pacifique par excellence.
(Revers de la médaille, c’est aussi le premier maillon de la chaine alimentaire.)
Cependant la consommation directe n’est pas le seul argument que doit posséder un être vivant pour être considéré comme totalement inoffensif.
La nécessité a pu développer d’autres techniques de survie nocives à d’autres espèces.
L’idéal nous semble décidément bien difficile à atteindre.
S’en faire une religion
Le « végétarisme » de la très ancienne religion, le jaïnisme, basé sur la volonté de ne faire souffrir aucune forme de vie, tente d’atteindre cet idéal absolu, en refusant la consommation de chair animale ainsi que de racines.
Cependant même un jaïn ne peut se passer de nourriture.
Pour conclure ce sujet, nourrir la réflexion
C’est l’évolution, l’ensemble des parades nécessaires et vitales, qui conduit les organismes vivants à adopter des stratégies compétitives et mortelles.
Dans ce contexte nous sommes une espèce héritière de plusieurs stratégies, s’adaptant et s’accommodant de son impact.
Mais il y a une limite fondamentale à laquelle nous ne pouvons échapper, c’est quand cet impact a des conséquences néfastes sur notre propre survie.
La stratégie originellement positive devient une nuisance à long terme.
Un discernement occulté pour de mauvaises raisons est à dépasser.
Sans pour autant tendre vers un idéal à la sensibilité sélective, variable et arbitraire.
Ou un autre insensible et déshumanisé.
Car de toute manière, la perfectibilité, en premier lieu, réside en chacun.
Et dans ce cas chacun fait au mieux avec ces conflits de valeurs incontournables.
En évitant de perdre de vue que défier l’impossible consiste autant à survivre qu’à se donner une raison d’être.
En liens :
Une BD critique sur la fuite en avant d’une société qui ne cesse de croître : The Invention of Agriculture.
À visionner :
- Fin de l’hypocrisie : Pourquoi nous vous mangeons.
- Moralité individuelle et impact global : Quel est le triptyque à regarder pour expliquer le comportement d’un humain ? Cerveau, état du corps, environnement.
- La philosophie morale ne sert à rien ?
À écouter :
Podcasts France culture :
À voir :
La viande cultivée : Fausse bonne idée ?