Artémis
L’âcre senteur des bois montant de toutes parts,
Chasseresse, a gonflé ta narine élargie,
Et, dans ta virginale et virile énergie,
Rejetant tes cheveux en arrière, tu pars !
Et du rugissement des rauques léopards
Jusqu’à la nuit tu fais retentir Ortygie,
Et bondis à travers la haletante orgie
Des grands chiens éventrés sur l’herbe rouge épars.
Et, bien plus, il te plaît, Déesse, que la ronce
Te morde et que la dent ou la griffe s’enfonce
Dans tes bras glorieux que le fer a vengés ;
Car ton coeur veut goûter cette douceur cruelle
De mêler, en tes jeux, une pourpre immortelle
Au sang horrible et noir des monstres égorgés.
Bacchanale
Une brusque clameur épouvante le Gange.
Les tigres ont rompu leurs jougs et, miaulants,
Ils bondissent, et sous leurs bonds et leurs élans
Les Bacchantes en fuite écrasent la vendange.
Et le pampre que l’ongle ou la morsure effrange
Rougit d’un noir raisin les gorges et les flancs
Où près des reins rayés luisent des ventres blancs
De léopards roulés dans la pourpre et la fange.
Sur les corps convulsifs les fauves éblouis,
Avec des grondements que prolonge un long râle,
Flairent un sang plus rouge à travers l’or du hâle ;
Mais le Dieu, s’enivrant à ces jeux inouïs,
Par le thyrse et les cris les exaspère et mêle
Au mâle rugissant la hurlante femelle.
Jason et Médée
De la forêt, berceau des antiques alarmes,
Une aube merveilleuse avivait de ses larmes,
Autour d’eux, une étrange et riche floraison.
Par l’air magique où flotte un parfum de poison,
Sa parole semait la puissance des charmes ;
Le Héros la suivait et sur ses belles armes
Secouait les éclairs de l’illustre Toison.
Illuminant les bois d’un vol de pierreries,
De grands oiseaux passaient sous les voûtes fleuries,
Et dans les lacs d’argent pleuvait l’azur des cieux.
L’Amour leur souriait, mais la fatale Epouse
Emportait avec elle et sa fureur jalouse
Et les philtres d’Asie et son père et les Dieux.
Le bain des nymphes
C’est un vallon sauvage abrité de l’Euxin ;
Au-dessus de la Source un noir laurier se penche,
Et la Nymphe, riant, suspendue à la branche,
Frôle d’un pied craintif l’eau froide du bassin.
Ses compagnes, d’un bond, à l’appel du buccin,
Dans l’onde jaillissante où s’ébat leur chair blanche
Plongent, et de l’écume émergent une hanche,
De clairs cheveux, un torse ou la rose d’un sein.
Une gaîté divine emplit le grand bois sombre.
Mais deux yeux, brusquement, ont illuminé l’ombre.
Le satyre !… son rire épouvante leurs jeux ;
Elles s’élancent. Tel, lorsqu’un corbeau sinistre
Croasse, sur le fleuve éperdument neigeux
S’effarouche le vol des cygnes du Caÿstre.
Nymphée
Et, voyant fuir sous lui l’occidentale arène,
Le Dieu retient en vain de la quadruple rêne
Ses étalons cabrés dans l’or incandescent.
Le char plonge. La mer, de son soupir puissant,
Emplit le ciel sonore où la pourpre se traîne,
Tandis qu’à l’Est d’où vient la grande nuit sereine
Silencieusement s’argente le Croissant.
Voici l’heure où la Nymphe, au bord des sources fraîches
Jette l’arc détendu prés du carquois sans flèches.
Tout se tait. Seul, un cerf brame au loin vers les eaux.
La lune tiède luit sur la nocturne danse,
Et Pan, ralentissant ou pressant la cadence,
Rit de voir son haleine animer les roseaux.
Ce sont là des poësies qui ne manquent pas de mouvement ni de grâce, ce sont de charmantes visions qui s’imposent à notre regard. Un style moins sentimental que le romantisme et plus technique, c’est le parnasse, un mouvement poëtique dont José sera un maître.
L’art n’y a d’autre but que de chercher à magnifier la beautée sans autre prétention que d’être un art.
La biographie de José-Maria de Heredia sur Wikipédia.