Robert de Bonnières

Le rosier enchanté

COMMENT UNE GENTILLE FÉE ÉTAIT RETENUE DANS UN ROSIER, ET COMMENT ELLE OFFRIT SON AMOUR A JEANNOT

Jeannot, un soir, cheminait dans le bois
Et regagnait la maison d’un pied leste,
Lorsqu’une Voix, qui lui parut céleste,
L’arrêta net:
–«Jeannot!» disait la Voix.
Qui fut surpris? Dame! ce fut notre homme.
Il ne s’était aucunement douté
Qu’il cheminait dans le Bois Enchanté.
S’il n’avait peur, ma foi! c’était tout comme.

Il demeura tout sot et tout transi.

–«Jeannot, mon bon Jeannot!» redisait-elle.

Il n’était pas, certe, une voix mortelle
Charmante assez pour supplier ainsi.

Or, en ce lieu, poussait plus haut qu’un orme
Un Rosier d’or aux roses de rubis.
Le paysan eût eu mille brebis
D’un seul fleuron de ce rosier énorme.

La Voix partait de ces rameaux touffus,
Car il y vit une gentille Fée,
De diamants et de perles coiffée.
Jeannot tira son bonnet, tout confus.
–«Jeannot, je veux te conter ma misère,»
Dit-elle; «écoute et remets ton bonnet.
Je te demande une chose qui n’est
Que trop plaisante à tout amant sincère.»

Le jeune gars écarquillait les yeux,
Comme en extase, et restait tout oreille.
Il n’avait vu jamais beauté pareille,
Ni de fichu d’argent aussi soyeux.
La Fée était belle en beauté parfaite,
Rare, en effet, et mignonne à ravir,
Tant, qu’à jamais, pour l’aimer et servir,
Je n’en voudrais pour moi qu’une ainsi faite!

–«Mon bon Jeannot, aime-moi seulement,»
Reprit la Fée; «il n’est point de tendresses
Et de baisers et de bonnes caresses,
Que je ne fasse à mon fidèle amant.
Aime-moi bien, puisque je suis jolie,
Aime-moi bien aussi, pour ma bonté.
Je suis liée à cet arbre enchanté:
Romps, en m’aimant, le charme qui me lie.»

«Je ne dis non,» fit l’autre, «et je m’en vais
Tout droit conter notre cas à ma mère.
Conseil ne nuit: l’on cueille pomme amère
Sans que pourtant le pommier soit mauvais.»

Il fut conter la chose toute telle,
Riant, pleurant, amoureux et dispos.
Du coup, sa Mère en laissa choir deux pots
Qu’elle tenait.

–«Eh! mon gars,» lui dit-elle,
«Fais à ton gré. Ce nous est grand honneur.
Va, mon garçon, et pousse l’aventure.
Nous aurons gens, malgré notre roture,
Pour nous donner bientôt du Monseigneur!»

Elle rêvait déjà vaisselle plate,
Non plus salé, mais belle venaison,
Vin en tonneaux et le linge à foison,
Cotte de soie et robe d’écarlate.

Jeannot courut.

L’aurore jusqu’aux cieux
Avait poussé sa lueur roselée;
La Fée était bel et bien envolée
Et tout le Bois rose et silencieux.

MORALITÉ

Ne tardez pas, quand l’heure heureuse sonne,
Gentils amants. Aimez-vous sans façon.
Le bel Amour n’a besoin de leçon,
Le bel Amour ne consulte personne.


Sauge-fleurie

I

COMMENT SAUCE-FLEURIE AIMA LE FILS
DU ROI

Alors vivait sans crédit ni richesse
Une Fée humble et seule; car il est
Des rangs parmi ces Dames, s’il vous plaît,
Comme, chez nous, de vilaine à duchesse.
Bien qu’elle n’eût ni renom ni pouvoir
Et qu’elle fut pauvre en sa confrérie,
Pauvre jusqu’au besoin, Sauge-Fleurie
–Tel est son nom–était charmante à voir.
Au bord d’un lac tout fleuri de jonquilles,
Elle habitait le tronc d’un saule creux
Et ne quittait son réduit ténébreux
Plus que ne font les perles leurs coquilles.
Mais un beau jour que, chassant par le bois
Avec sa meute un superbe équipage,
Le fils du Roi menait à grand tapage
Du bois au lac un dix cors aux abois,
Pour voir les chiens et la belle poursuite
Et les pourpoints brillants des cavaliers,
Elle quitta son arbre, et des halliers
Voyait passer le Prince avec sa suite.
Le Fils du Roi, qui saluait déjà
(Car c’est de Fée à Prince assez l’usage)
En voyant mieux un si charmant visage,
S’arrêta court et la dévisagea.
Sauge, sans plus se cacher dans les branches,
En le voyant si beau, de son côté
Le regardait devant elle arrêté,
Droit dans les yeux de ses prunelles franches.

Naïf amour par pudeur s’enhardit:
Le Fils du Roi baissa les yeux par contre;
Chacun s’en fut méditant la rencontre:
–Tous deux s’aimaient et ne s’étaient rien dit.

II

COMMENT UNE MAITRESSE-FÉE CONDAMNA
SAUGE-FLEURIE

Or tout se sait: une Maîtresse-Fée
Fit donc venir Sauge à son tribunal.
Vêtue ainsi que l’oiseau cardinal,
La Vieille était d’aspics ébouriffée:
Elle était vieille, et par cela j’entends
Que de jeunesse elle était ennemie.
–On le va voir:–«Je veux, Sauge, ma mie,
«Te corriger, s’il en est encor temps,»
Lui dit la Vieille aigrement. «Sans mon zèle,
Vous nous l’alliez donner belle à ravir
Et par ma foi vous nous alliez servir
Un joli plat d’amour, Mademoiselle.
Passe un beau Sire et, sans plus de façons,
Voilà mes gens amoureux face à face!
Pardieu! plutôt que la chose se fasse
Je ferai pendre ici dix beaux garçons.»
Et ce disant en parut si méchante
Qu’elle eût fait peur même au Roi Très Chrétien
Par sa beauté, sa grâce et son maintien,
Sauge-Fleurie était pourtant touchante.
Mais rien ne fait contre haine et pouvoir.
–«Il faudra bien que ton beau bec réponde,
Car, sans chanter, il n’est poule qui ponde,
Sauge ma mie–et je te vais pourvoir!»

Je vous dirai, sans tarder davantage,
Si votre coeur s’intéresse à son sort,
Qu’aimer un homme était un cas de mort
Pour Sauge, esprit n’ayant chair en partage:
Ce que prouva la Vieille en un latin
Qui dépassait l’intellect en puissance,
Et distingua des cas de quintessence
A dérouter Sauge et l’abbé Cotin.

Sauge, pourtant, demeurait bouche close
Et de cela ne voulait seulement
Qu’aimer le Prince et mourir en l’aimant
Comme disait la Vieille avec sa glose.
Sans moi déjà vous avez pu songer
Qu’en cette affaire ayant la loi formelle
Et des aveux, notre juge femelle
Condamna Sauge, et sans rien ménager.
Et pensez bien que la Fée amoureuse
Ne marchanda son immortalité,
Et que du coup, comme on me l’a conté,
Elle s’en fut-plus que vivante heureuse!

III

COMMENT SAUGE-FLEURIE ALLA TROUVER LE PRINCE
EN SON CHATEAU

Or nul pouvoir ne pouvait s’opposer,
Malgré l’arrêt de notre Vieille en rage,
Au libre emploi de son gentil courage
Non plus qu’au choix de son premier baiser.
–Sauge, à pied donc comme en pèlerinage,
Alla trouver le Prince en son château,
Et tout le long de la route un manteau
Rude et grossier cacha son personnage.
Elle arriva par la pluie et le vent,
Sur elle ayant laissé crever la nue;
Et, si d’abord fut des gens méconnue,
Ne surprit point le Prince en arrivant.

–«Mon coeur, dit-il, vous attendait, Princesse;
Du bois au lac, je vous cherchais, ma Fleur,
Et fatiguais du cri de ma douleur
L’onde et le ciel, n’ayant repos ni cesse.»

–Et ce disant, il se prit à baiser
A deux genoux sa main mignonne et fine,
Et puis voulut sur l’heure à la Dauphine
Présenter Sauge avant de l’épouser:
Il lui fit faire un peu de belle flamme
Pour la sécher d’abord. Tant de beauté,
De naturel et de simplicité
En cet état le touchait jusqu’à l’âme.
Il fit venir perles, saphirs, rubis,
Bijoux montés et beaux luths de Vérone.
Il fit de même apporter la couronne
Et préparer des merveilleux habits.

IV

COMMENT SAUGE-FLEURIE FIT AU PRINCE UN NOBLE
ET TOUCHANT DISCOURS

Sauge admira ces objets sans envie
Et dit:
«Seigneur, les beaux jours sont comptés.
Aimez-moi bien, et jamais ne doutez
Du bel amour dont j’ai l’âme ravie.
Est-il pour moi besoin de tant d’apprêt?
N’aimez-vous point la belle solitude,
Et des amants n’est-ce plus l’habitude
De mieux s’aimer quand l’amour est secret?
Restons ici sans plus, si bon vous semble;
Nos yeux pourront se parler à loisir,
Et nous n’aurons de si charmant plaisir
Que seul à seul à demeurer ensemble.
Auprès de vous, je sens mon coeur léger;
Légère est l’heure aussi qui me convie
Et là, tout beau! je vous donne ma vie.
Prenez-la donc, mais sans m’interroger.»

Elle lui fit un généreux sourire
Ne regrettant ce qu’elle avait bien fait,
N’y songeant même.–Et son bonheur parfait
En mots humains ne se pourrait décrire.
–Amour et Mort sont toujours à l’affût:
Ne croyez pas que celle que je pleure
Fut épargnée.
Elle sécha sur l’heure
Comme une fleur de sauge qu’elle fut.

MORALITÉ

Je compte peu qu’une femme ainsi m’aime
Jusqu’à mourir: ceci montre, pourtant,
Que pour aimer, ne fût-ce qu’en instant,
L’on brave tout, Madame, et la Mort même.


LES TROIS PETITES PRINCESSES

COMMENT TROIS BONNES FEES FIRENT TROIS BEAUX DONS A TROIS PETITES PRINCESSES


Trois filles d’un Roi sarrazin,
Le même jour, furent priées
Et le même jour mariées
Aux trois fils d’un Prince voisin.
Elles eurent mêmes grossesses:
Au bout de neuf mois mêmement,
Il leur naquit, pareillement,
Trois petites princesses.
Le Roi maure, dit le Conteur,
Fit proclamer leur délivrance
En Inde, en Perse et jusqu’en France,
Et dépêcha son enchanteur
Auprès de trois gentilles Fées
Qui, dans trois chars tendus d’orfrois,
Se présentèrent toutes trois,
D’aurore et de lune attiffées.
Après qu’il fut fait maint salut
Et que luth et lyre eurent cesse,
Chaque Fée à chaque Princesse
Fit le plus beau don qu’il lui plut.

A sa Princesse, la Première
Donna pour don qu’elle serait
Faite comme elle, trait pour trait,
Et plus Belle que la lumière.

–«Bien que soit richesse en honneur
Chez les mortels, dit la Seconde,
Mon don n’est perle de Golconde
Mais belle perle de Bonheur.»

Vint la Troisième.–«Il est encore,
Dit-elle, un don plus précieux!»
En couvrant l’enfant jusqu’aux yeux
D’un suaire tissé d’aurore.
En faisant ce don, elle était
Si bonne, si douce et si tendre,
Qu’on ne se lassa pas d’attendre
Le grand bien qu’elle promettait.
Grand bien n’est pas ce qu’on présente
Souvent pour tel; car là, tout beau!
On mit la petite au tombeau,
Qui mourut à l’aube naissante.

MORALITÉ

Mieux que Bonheur et Beaux Appas
Vaut la Mort, pour ce qu’est la Vie:
Ne la plaignez: Qui ne l’envie
Ne vécut et ne m’entend pas.

Biographie de Robert de Bonnières sur Wikipédia et d’autres contes sur le site Gutenberg.org.

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