L’auteur
Robin Wall Kimmerer est une autrice et botaniste amérindienne titulaire d’un doctorat en écologie végétale.
Née dans le nord de l’État de New York, ses origines et sa carrière l’inspirent d’une approche non exclusive des techniques et philosophies des connaissances écologiques traditionnelles.
Elle est membre de la Nation citoyenne Potawatomi, peuple amérindien de la région des Grands Lacs.
Une spiritualité traditionnelle connectée à la terre
L’avoine odorante est une poacée au nom scientifique Hierochloe odorata, les racines grecques révèlent aussi étymologiquement le sens d’herbe sacrée.
Dans les traditions amérindiennes, c’est la chevelure de la terre mère, qui préside à des cérémonies de purification.
Le tressage de ses brins n’est pas seulement tendu vers un but de profit, mais témoigne surtout d’une dimension où utilitaire et spiritualité ne font qu’un.
Les paragraphes du livre font toujours référence à cette plante comme dans un cycle vertueux de purification : planter, entretenir, cueillir, tresser, brûler.
Une ode à la singularité et à la complémentarité
Le paragraphe Épiphanie dans les haricots verts est un passage où l’autrice parle du rapport de ses filles à la nature, des vertus éducatives du jardinage.
Elle démontre des valeurs essentielles, telles que le prendre soin de soi, la protection, la croissance, le vivre ensemble, le partage des ressources, des valeurs communes, l’interdépendance, l’abnégation, la créativité.
Et cette pensée déconcertante qui veut que si l’on aime son jardin, qu’il soit possible qu’il nous aime en retour.
Respect et co-évolution
C’est toute la force de l’auteur que de replacer l’homme dans le cercle d’où il provient, non plus détaché d’une nature source de ressources, mais partie prenante, donnante et dépendante.
Le paragraphe des trois sœurs illustre tout à fait cette philosophie, la complémentarité entre la courge, le maïs et le haricot est éloquente. L’ensemble de ces plantes, avec chacune ses besoins différents, peuvent en bonne entente être plus robustes et fortes que chacune isolée.
Cela me fait penser aux graines que j’ai récoltées cet été, de l’orchidée abeille, ce sont des graines tellement minuscules qu’elles sont presque invisibles à l’œil nu. On se demande tout de suite comment une telle quantité de graines peuvent donner naissance à aussi peu de plantes adultes ? Je me suis documenté sur le sujet, il s’avère que la graine est dépourvue de réserve nutritive, elle a besoin d’un apport sucré qu’un champignon peut lui apporter. De fait une orchidée sauvage est donc le fruit d’une symbiose. Mais cette symbiose n’est pas toujours harmonieuse, il arrive que le champignon prenne l’ascendant sur la plante et vice-versa, dans les deux cas c’est souvent fatal aux deux protagonistes.
Le vivant semble ainsi être un bricolage périlleux où l’aboutissement apparent et présent reviendrait à ne voir que des fins heureuses de conte.
De quoi nous pousser à voir les choses autrement.
Le mal qui ronge
Pour représenter la cupidité et les excès, les peuples algonquiens possèdent dans leur mythologie une créature surnaturelle nommée wendigo. Une métaphore des dérives du monde moderne toute trouvée. Le wendigo est une créature jamais satisfaite à l’image de notre économie consumériste et des fléaux liés à une nature humaine qui ne change finalement guère au fil du temps.
La gratitude
Cette proximité entre la spiritualité amérindienne et la nature est souvent l’expression d’une profonde gratitude envers l’abondance de cette dernière.
Les prières en onondaga en témoignent : « Nous avons le devoir de vivre en équilibre et en harmonie les uns avec les autres et avec tous les êtres vivants. »
L’action de grâce Haudenosaunee aussi : « Nous remercions toutes les eaux du monde d’avoir étanché notre soif », « Avec un seul esprit, nous honorons et remercions toutes les plantes alimentaires que nous récoltons. », etc.
Cette gratitude semble être pour l’autrice une exception propre à sa culture.
Mais j’ai lu un texte dans un ancien couvent de franciscains qui m’a fait repenser à cela, c’est le cantique de Frère Soleil par saint François d’Assise :
[…] Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures,
spécialement messire frère Soleil,
par qui tu nous donnes le jour, la lumière ;
il est beau, rayonnant d’une grande splendeur,
et de toi, le Très Haut, il nous offre le symbole.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur Lune et les étoiles :
dans le ciel tu les as formées,
claires, précieuses et belles.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère Vent,
et pour l’air et pour les nuages,
pour l’azur calme et tous les temps :
grâce à eux tu maintiens en vie toutes les créatures.
Loué sois-tu, Seigneur, pour notre sœur Eau,
qui est très utile et très humble,
précieuse et chaste.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère Feu,
par qui tu éclaires la nuit :
il est beau et joyeux,
indomptable et fort. […]
Je n’avais jamais vu cela, un écrit chrétien qui aurait pu être écrit par une culture totalement différente !
Conclusion
Je n’ai fait ici que survoler l’étendue du contenu du livre, mais j’espère que ce résumé est assez fidèle et inspirant.
C’était une lecture très intéressante, où je me suis reconnu dans cette vision sage, transcendante et réaliste.
Le titre pourrait nous induire en erreur et nous mener sur une thématique religieuse, mais il n’en est rien.
Je me demande ce qui dans notre culture a pu nous pousser à dénigrer ces peuples autochtones et si quelque part nous n’aurions pas dénigré une part de notre propre culture.
Car on le constate avec le cantique de Frère Soleil, qu’une vision d’harmonie naturelle n’est pas totalement absente de la culture occidentale.
Et je pense que toute culture dans le monde renferme une sagesse destinée à enrichir ce dernier, comme l’on peut apprendre de chaque espèce vivante.
Crédits
Photo de couverture : John D. and Catherine T. MacArthur Foundation.