Les dilemmes
Matérialisme et créationnisme
Le matérialisme consiste à dire que la matière est la seule réalité, cela est né par opposition aux positions créationnistes. Dans notre cas on pourrait dire que les « matérialistes » considèrent que seul le matériel photo entre en compte dans la réussite de bonnes photos. À l’inverse on pourrait dire que les « créationnistes » considèrent que seul l’art fait une bonne photo. Ce sont là des avis assez caricaturaux et ils sont parfois adoptés lorsque les intentions de leurs protagonistes sont plutôt de caractère douteux.
Si l’on se penche sur les faits, il est évident qu’une personne qui ne maitrise pas un appareil photo ne pourra guère sortir un bon cliché d’un reflex dernier cri. Et à partir de là, on est irrésistiblement attiré par le courant « créationniste ».
Autre face du problème, un photographe expérimenté pourra-t-il se tirer d’affaire avec un matériel désuet, à priori oui, exemple avec Out of the ashes(Ghostly Cheetah) de Britta Jaschinski, image gagnante du European Wildlife Photographer of the year 2010, estimation du matériel employé: 80 €, boitier argentique (Nikon FE2) et zoom 200 mm. Encore une tentation sérieuse pour les « créationnistes ».
Réalisme et abstractionnisme
C’est un combat vieux comme le monde, l’histoire de l’art est une succession de luttes entre le réalisme, le désir de représenter les choses comme elles sont, et l’abstractionnisme qui souhaite mettre en valeur le concept quitte à s’affranchir de sa représentation figurative commune. Cela est motivé par deux élans, celui de la continuité par le retour aux sources et celui d’une continuité par le changement. Dans le premier cas on cherche à améliorer le présent en conservant ce qui s’est fait de mieux dans le passé, dans le second on souhaite innover et oublier ce qui ne fonctionne pas.
En photographie le bokeh est un des premiers éléments qui a modifié de manière significative l’aspect d’une photographie, même si on pourrait dire que c’est un retour à une vision naturelle puisque l’acuité de l’œil humain est plus grande à son centre de champ de vision que sur les côtés.
La qualité des boitiers et des objectifs est telle qu’actuellement une photographie se démarque largement de son modèle en valeur tonale et luminosité, une photo peut ainsi paraitre totalement irréelle bien que visuellement agréable et très contrastée au point que les autres photographies fidèles aux couleurs naturelles paraissent bien fades.
Entre talent et hasard
Les « matérialistes » concèdent facilement qu’on ne peut pas obtenir d’un appareil plus qu’il ne peut offrir et c’est hélas vrai, si l’on dit à des débutants qu’ils peuvent réaliser d’aussi bonnes photos que des pros ce n’est ni tout à fait vrai ni tout à fait faux, si l’on débute et que notre expérience est faible on n’a aucune chance de réaliser un cliché bien maitrisé si l’on est pris de court. Tout le monde s’accordera à dire que plus on fait de photographies et plus on cherche à s’améliorer alors les progrès viendront.
Quand on sait qu’un photographe ambitieux ne conserve qu’une photo sur 1000, on se demande alors à quoi bon peaufiner sa technique. Mais nous n’avons pas forcément tous les mêmes besoins d’exigence et puis la photographie laisse une grande place au hasard quelque soit notre technique et même si cette dernière représente un avantage conséquent. En effet nous ne maitrisons absolument pas ce que nous prenons en photo, quand le décor est naturel nous sommes soumis aux caprices de la nature, c’est pourquoi les meilleurs clichés sont ressentis comme des dons, car nous sommes alors bénis, nous profitons des meilleures conditions de prise de vue, qui ne se répètent parfois pas.
On publie toujours le meilleur de nos photos et rarement le pire, voilà l’exemple d’une de mes photographies prises au zoom, d’une trop grande distance la photo est recadrée et le renard parait très petit, de plus dans le feu de l’action l’image n’est que flou, un traitement numérique n’y peut rien.
Les facteurs d’idées préconçues
Les enjeux
On se rend compte dans l’exemple de Britta Jaschinski que l’intérêt de la photo ne réside pas dans sa beauté purement esthétique, le concept sensibilisateur est ici le point le plus mis en valeur puisqu’il s’agit dans Out of the ashes d’un animal à l’apparence fantomatique, une espèce en voie de disparition qui semble fuir la photo et notre monde calciné. Le style de Britta est très présent par l’emploi du noir et blanc et c’est le contre-pied absolu de la recherche moderne de performance technique ou d’abstraction artistique.
Dans ce style d’image là on en vient très vite à adopter des points de vue graphiques pour renforcer l’accroche visuelle. Le graphisme est un peu à l’image de ce que les figures de style sont à la littérature, quand on n’a pas une belle et longue histoire à écrire simplement on peut se tourner vers un court texte épuré qui utilise des figures de style(et il y en a beaucoup). Une belle photographie classique n’aurait pas eu le même impact qu’Out of the ashes, ceci dit le contexte global est pour beaucoup dans cette tendance, écologie, affirmation du style personnel, etc.
Les carcans
Même en amateur on ne peut ignorer le marché de la photo, puisque ce sont souvent des photographies de professionnels qui ont donné naissance à notre passion et que nous en consommons quotidiennement. Dans ce domaine les attentes du public sont tout aussi nombreuses que les différents types de publics et cela se complique encore plus si un intermédiaire interprète ce qu’il croit être les attentes du public. Ce chassé-croisé entre offre et demande à un impact sur les sujets et sur les techniques employées, notamment sur un choix restreint de règles à la mode en fonction du contexte global ou local, par exemple la recherche systématique d’images insolites. Autant de partis pris qui possèdent leur logique si on les replace dans leur contexte.
Photoshop ou le mystificateur
Les arts numériques apportent une vision très esthétique de la photographie, contraste et haute saturation, l’ère du hdr sévit sur les portfolios des sorciers du traitement numérique. Conçu comme un atelier photo, Photoshop peut aller très loin dans la sublimation de photographies, une photo dans des conditions particulières attire souvent la suspicion d’avoir été nettement sublimée par ce logiciel.
Photoshop est donc la baguette magique du « matérialiste », souvent armé du dernier modèle de boitier et des objectifs les plus onéreux, des cailloux (objectifs) qui donnent l’impression de voir le monde à travers une pierre précieuse et ses multiples reflets. Bien sûr tout le monde ne maitrise pas les arcanes de ce programme, il y a donc une différence (voir des différents) entre ceux qui savent le faire et ceux qui ne savent pas (chacun ses petites habitudes). Un traitement numérique peut grandement augmenter l’intérêt d’un cliché, c’est même un passage obligé en photographie numérique pour développer ses fichiers raw avec des fonctions propres aux anciens laboratoires photo, mais qui se rapprochent de plus en plus des capacités avancées des logiciels de traitement d’image comme Photoshop.
On le voit ce grand nombre de chants de sirène qui résonnent aux tympans des amateurs, l’amateur a-t-il seulement encore la possibilité de faire de sa passion une distinction qui le libère du dédain de la classe professionnelle avant d’être lui-même aspiré par la machine à profit immédiats ?
Dans cette seconde photo, l’approche est plus idéale que dans le précédent cas, le petit chevreuil s’est laissé bien surprendre, et ce pendant longtemps merci au vent, hélas au moment crucial du déclenchement, la netteté n’est pas à l’arrivée là où elle devrait être alors que dans les précédents déclenchements elle était judicieuse, mais alors les herbes et arbustes empêchaient ce joli plan de face !
Logique naturelle
Si l’on est capable de fournir des formations à la photographie et de trouver des guides dans ce domaine c’est bien parce que l’expérience empirique a déniché quelques points essentiels, le plus connu est la fameuse règle des tiers, inspirée de l’art pictural. Ces règles se confirment si et seulement si elles s’appliquent naturellement, dans l’évolution lente d’un art serein. Car il est impossible d’appliquer ces règles après les avoir simplement lues tant elles nécessitent de spontanéité si l’on se concentre sur une ou plusieurs règles on passe à côté de la possibilité de pouvoir un jour les devancer. Malgré tout il existe bien des principes efficaces que l’on découvre au hasard parfois d’une erreur.
C’est dans ce cheminement universel que personne ne peut s’approprier que résident ces bases véritables, quand on aime ce que l’on fait et que l’on souhaite partager un message, ce sont bien là les seules conditions sine qua non. Peu importe le style, l’art ou la manière, les composants d’une photographie ne nous appartiennent pas, nous ne faisons que les emprunter, acteurs dans un scénario que l’on ne peut qu’entrevoir, dans une scène qui n’a cesse de nous rappeler d’où vient notre regard, petit miroir plongé dans l’océan de l’inconscient visuel.
« Les photographies que nous aimons ont été faites quand le photographe a su s’effacer. S’il y avait un mode d’emploi, ce serait certainement celui-là. » Edouard Boubat
Et vous, êtes vous naturel, graphique, pur, émotionnel, artistique ou un peu de tout ça, libre de toute vision partisane ?