Pensées primitives

Du sauvage à l’autodomestication

Les besoins vitaux

La vie est le résultat d’interactions qui permettent à des combinaisons chimiques d’évoluer de manière complexe à travers une forme d’autonomie.
À partir du moment où cette forme acquière de l’indépendance, grâce à des capacités qui lui permettent de trouver l’énergie nécessaire à la production de la matière dont elle est faite, on peut voir apparaître un organisme.
Dès lors, de la cellule à l’organisme, production et consommation de matière sont les moyens essentiels de toute subsistance.

L’état sauvage

Tout conspire contre l’homme faible, si tout n’aide pas l’homme fort. 

Anne Barratin, De vous à moi.

On aime retenir dans notre société comme un dicton de jadis plein de bon sens, que les plus faibles disparaissent au profit des plus forts, la fameuse loi de la nature.
L’histoire a conservé par exemple l’expression « Malheur aux vaincus » prononcée par Brennus.
Nous avons à l’état naturel les bases amorales qui façonneront nos comportements et nos cultures, et il aurait été difficile qu’il en fût autrement.
Vivre et mourir sont les deux lois qui font nécessité, au-delà de toute conception morale.
Nous avons en héritage des milliers d’années de guerre incessantes où les moyens de destruction atteignent un tel niveau d’horreur qu’ils engendrent enfin une volonté mondiale de paix.
Et ceci est très récent dans l’histoire de l’humanité, le progrès technique offre des possibilités, qui émergent de la conscience humaine et l’influencent en retour.

Le meilleur n’efface pas le pire

La morale est dans la tête, et la moralité dans le cœur. 

Pierre-Claude-Victor Boiste, Le dictionnaire universel

Il est très difficile de se départir d’instincts prédateurs quand ces derniers sont le fondement de nos existences.
La plupart des religions ont amorcé des tentatives de sortie de l’état sauvage, en développant la conscience ou la morale ou bien les d(i)eux.
Mais la nature humaine refait toujours surface, l’ordre que procurent les religions produit un pouvoir qui fait écho à un besoin de dominer, en offrant une position sociale prédominante et en surfant sur le besoin des adeptes de donner un sens virtuel au monde.
Ce qui est naturel après tout, dans tout groupe social animal chaque individu recherche la place la plus avantageuse et la meilleure manière de jouer le jeu.

Une conciliation contre nature

Dans l’état de nature, il n’y a d’autre droit que la force ; la civilisation met la force au service du droit. 

Eugène Marbeau, Les remarques et pensées.

La construction d’une civilisation est identique à l’élaboration d’un organisme, elle ne peut tolérer le chaos.
En perdant nos comportements sauvages, nous devenons moins meurtriers, mais nous perdons aussi des repères qui nous ont façonnés depuis des milliers d’années.
Un tigre qui ne sait plus monter aux arbres, qui a peu d’agressivité, est plutôt compliqué à réintroduire dans un environnement sauvage.
Or s’il fait même de la peine à voir, étant plus fort que nous, il nous parait plus commode et plus sain de le renvoyer à la vie sauvage.
Qu’en est-il de l’espèce humaine ?
Devrait-elle réapprendre à mordre, griffer et sauter de branche en branche ?

Un être virtuel

The game is on

Sans espoir trop ambitieux, tâchez d’augmenter sans cesse vos forces physiques, morales, et même celles d’opinion, car c’est le seul moyen de les conserver. Faites-en toujours le meilleur usage possible, et pour vous, et pour les autres, car c’est le moyen le plus naturel de les accroître.

Jacques-Henri Meister, De la morale naturelle.

L’homme est un animal très conscient, son autodomestication s’est accompagnée en conséquence d’un éloignement de la nature, et il doit maintenant mettre en place des simulations qui permettent une catharsis de ses instincts naturels.
Plutôt que de s’entretuer, chasser ou voyager, il produit et consomme dans un contexte compétitif; il s’affronte, autour de jeux qui aiguisent son besoin naturel de développer ses capacités et son sens social.

La tentative du retour

La moralité est si nécessaire à la statique sociale que les gens les plus immoraux doivent pour ainsi dire moraliser leur immoralité même, pour garder quelque équilibre.

Edmond Thiaudière, La décevance du vrai.

Mais un jeu peut s’avérer être le symbole analogique et symptomatique d’un système qui promet l’affranchissement, mais qui ne tient pas ses promesses.
Jouer sans se retourner, avoir un but et être gagnant.
Comment pourrait-on remettre en question un système qui semble poser un cadre bien défini, et dégager tant de valeurs en phases avec notre propre nature ?
Dépassement de soi, coopération et convictions en adéquation avec les règles.

Seul le coaching peut-être remis en question, mettre les perdants au placard, ou soigner les blessés, que de choix, mais finalement, le jeu reste le même.
Mais quand les objectifs ne font plus rêver, le jeu devient mécanique, virtuel, sans âme.
L’excitation du jeu engendre un refus de tout compromis à l’épreuve d’une mécanique qui lasse par sa nature domestique.
Ajouté à cela un respect relatif des règles, les égos retrouvent dans la transgression les réflexes du sauvage revitalisant.

Paradoxes

Tant qu’on travaille, qu’on produit, qu’on pense, qu’on agit, qu’on rayonne, on se donne l’illusion d’être, on se défend contre la désolation et le désespoir. Si la ville est en cendre, on se réfugie dans la citadelle ; si la citadelle est prise on se retire dans le réduit central.

Henri-Frédéric Amiel, Journal Intime.

Le monde semble ainsi sans cesse à la fois vieilli, par la cristallisation de ses idées, et revitalisé, par la vivacité de ses émotions.
La grande variété de ses possibilités contradictoires donne le vertige, rassembler, diviser, bêtise, intelligence, empathie, violence, etc.
Conforter ses propres idées au déni de celles des autres et en même temps adopter comme parole d’évangile celles qui nous comblent, c’est le meilleur moyen de rester enfermé dans un cycle dominant/dominé.
Plus l’on se spécialise et plus on a raison, dans un cadre bien défini, mais plus on perd le sens d’une réalité plus vaste et la simplicité efficace d’un fait que parfois il n’a jamais été nécessaire de démontrer.
On met sur un piédestal l’éducation des enfants, en omettant de poursuivre celle de leurs parents.
On souhaite prendre soin de nos aînés, tout en leur laissant que peu de rôle dans la société.
Jamais nos opinions n’ont été aussi dépourvues de force créative, la qualité de nos communications décroit proportionnellement en fonction de la diversité de nos moyens de communiquer.

Et pourtant

La seule manière délicate de diminuer la valeur de ses bienfaits, c’est de les multiplier.

Adolphe d’Houdetot, Dix épines pour une fleur.

On ne sait plus sur quel pied danser, parce qu’à force de jouer le jeu on se perd.
On se perd, mais on ne peut pas tricher, c’est dans notre nature aussi que réside le sens de la coopération.
Toutes ces espèces animales ou végétales, qui s’entraident ou s’allient, sont les représentantes de ce principe.
À un moment, quand on ne gagne plus, on se dit, mais il faudrait peut-être jouer collectif…
Le collectif est le miroir de nos points forts et de nos points faibles.
L’individualisme en est le pivot essentiel, il n’y a rien de possible sans liberté individuelle ni autonomie morale.
Et sans sens collectif, l’intelligence reste autant atrophiée que si elle était aliénée par un groupe social.
On n’a jamais eu autant la conscience de protéger la biosphère qui nous entoure.
C’est l’émergence d’une plus grande conscience, où il aura fallu tant détruire pour commencer à recréer.

Définitions primitives :

Primitif : Qui est à l’origine d’un mouvement évolutif; qui correspond à un état archaïque de ce mouvement.
Sauvage : Qui évoque l’état de nature, antérieur aux formes de civilisations dites évoluées.
Individualisme : Indépendance d’esprit, absence de conformisme.
Virtuel : Qui possède, contient toutes les conditions essentielles à son actualisation.
Progrès : Processus évolutif orienté vers un terme idéal.
Jeu : Activité ludique organisée autour d’une partie comportant généralement des règles, des gagnants et des perdants.
Mansuétude : Disposition morale qui incline à la douceur, la patience, au pardon.

Lectures primitives :

Sur les épaules de Darwin, Jean Claude Ameisen.
Les influences sournoises : Précis des manipulations ordinaires, Jean-Léon Beauvois.

Crédit illustration :

TERRE
Notre oasis dans l’espace.
Où l’air est libre et respirable.
Courtesy NASA/JPL-Caltech

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  1. bonsoir, je vous remercie d’être passé sur mon blog. j’ai regardé le vôtre avec soin. Vos photos sont superbes, les fonds très légers.; Prendre une martre..waouh ça c’est du lourd. Vous êtes un chasseur d’images, passionné .. de la folie, non, de la passion et de la qualité. quant ce dernier article, je vais rebondir sur quelques points.. la religion a été  » mise en place  » pour répondre à des peurs et des questionnements sans réponse. Les plus forts ont ainsi regroupé les plus faibles  » en troupeaux afin de les utiliser et ce encore aujourd’hui.. L’école des parents, oui, elle serait nécessaire.. Je reprends juste quelques détails… La violence devient un jeu. L’homme ne tire leçon de rien. Il nous faut encore individuellement grandir pour que la société change et retrouve la notion de respect.
    Je pose quelques bribes, je n’ai pas votre qualité d’écriture. Je pense que votre site mériterait d’être dédoublé. l’un dédié à la photo et l’autre à vos réflexions.. ce n’est que mon humble ressenti. Vos fleurs et vos insectes nous offrent votre délicatesse et votre sensibilité et votre vraie présence dans la nature.. L’homme aurait dû tirer en elle leçons plus que de la détruire… bonne soirée

    • Bonjour Broutilleb,
      Ah la martre fait partie de ces rares moments où l’animal est venu vers moi, à quelques mètres.
      Et dans ce cas là, j’ai souvent l’impression que la surprise est pour moi.
      Il y a toujours un périmètre qu’il ne faut pas franchir avec les animaux sinon ils détalent, alors ces moments là ont quelque chose de magique.

      Le berger et le troupeau, toute une symbolique épiscopale.
      A un moment la nécessité fait loi, on le voit un peu de nos jours, sous les contraintes, les idéologies sont inutiles pour les mesures qui sont à prendre.
      Ça prendra probablement des centaines d’années pour que des changements apparaissent, le temps que le meilleur qui soit à faire s’infuse et se diffuse.
      A ce niveau là on est pas plus rapides que nos ancêtres.

      Enfin tout cela n’est qu’opinion, heureusement je ne fais guère de publication comme celle-ci.
      Un dédoublement serait intéressant, mais j’ai peur de ne pas avoir assez de matière à fournir.
      Merci pour votre sympathique retour, votre blog est très inspirant.

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