Les nymphes

Introduction

Dans le même temps le divin Orphée prit en main sa lyre, et mêlant à ses accords les doux accents de sa voix, il chanta comment la terre, le ciel et la mer, autrefois confondus ensemble, avaient été tirés de cet état funeste de chaos et de discorde, la route constante que suivent dans les airs le soleil, la lune et les autres astres, la formation des montagnes, celle des fleuves, des Nymphes et des animaux.

Apollonios de Rhodes, IIIe siècle av. J.-C., Argonautiques.

L’humanité a toujours recherché une explication globale cohérente à l’univers qui l’entoure. Au tout début, il s’agissait sans doute de discours, la parole étant le meilleur moyen de communiquer, de partager des histoires et des connaissances. Et pour se représenter et remémorer des concepts, il est plus aisé de les associer à des personnages.

Pour condenser l’esprit d’une forêt, d’une rivière, d’un arbre ou d’un autre élément naturel qui suscitait un certain intérêt, les anciens Grecs parlaient de nymphes. Les nymphes sont des divinités essentiellement aquatiques, liées à la mer, à l’océan, aux fleuves, lacs et geysers. Leur champ est vaste et ne se réduit pas aux cours d’eaux car sans eau vitale, il n’y a pas d’arbres, ni plantes ni animaux, et certainement plus de civilisation.

nymphe aréthuse
La nymphe Aréthuse sur un décadrachme, 400 ans av. J.-C.

La nymphe possède cette particularité d’être représentée généralement par une séduisante jeune femme, c’est aussi ce que souligne le sens du mot nymphe dans la langue grecque. Ce qui est compréhensible, le monde de la nature traverse les saisons et semble immortel, les nymphes ont donc tout comme la nature une apparence éternellement jeune et belle.
Mais l’ambiguïté de leur immortalité est aussi liée à la nature de ce qu’elles représentent, capables de dons d’immortalité et ne possédant qu’une vie certes longue, mais néanmoins limitée.
Cette manière poétique d’exprimer des idées permit de domestiquer un sens qui expliquait divers faits.
Ainsi les nymphes sont souvent à l’origine de tribus humaines, en s’appropriant une nymphe comme ancêtre on s’octroie les attributs qu’elle a elle-même hérités des lieux naturels dont elle est l’esprit.

On leur offrait des offrandes sur un autel, dans un lieu entouré d’arbres ou parfois d’un monument dédié, le nymphée.

Contexte et particularités

Histoire et mythologie

Si les évolutions culturelles et techniques qui posèrent les bases de nos civilisations actuelles semblent à leur apogée durant l’antiquité, les mythes pourraient avoir des sources remontant jusqu’à la préhistoire. Ces mythes purent évoluer pendant plusieurs millénaires avec les différents peuples qui se les transmettent et se les approprient durant la protohistoire pour s’inscrirent dans les textes, les œuvres et ouvrages qui sont parvenus jusqu’à nous.
Grâce à l’agriculture, l’humanité se fixe et prospère, et tout ceci demande une organisation.
Mais comment s’organiser dans un monde où semble régner l’impermanent et le désordre ?
Sur quels repères prendre modèle pour domestiquer l’angoisse de l’avenir ?

L’inspiration la plus ressentie est la nature, source d’une connaissance intuitive capable de fertiliser l’intellect.
Mais il ne s’agit pas que de nature sauvage, ce sont des questions d’humains et l’anthropomorphisme nous rappelle ce lien étroit entre nature de l’homme et phénomènes naturels. Pour parfaire ces explications empiriques qui s’expriment par des évocations poétiques, la mythologie permet une approche compulsive, globale et synthétique avec laquelle il est possible de réincarner symboliquement ses racines, ses capacités d’évolution et sa singularité agissante dans le monde.
Tout cela par une approche qui fait appel à l’imagination, qui ne se borne pas aux seules associations vraisemblables, mais offre un champ presque infini de possibilités.

Aspirations intemporelles

Les anciens n’étaient pas si différents de nous, il y avait des croyants, des sceptiques, des pauvres et des riches.
Comme nous leur monde en perpétuelle mutation était imprégné par de nombreuses influences, par les peuples qui les ont précédés tant bien qu’avec ceux avec lesquelles ils faisaient du commerce.
Tous n’avaient pas les mêmes impératifs, et nombre d’entre eux ne se formalisaient pas de savoir quel point de vue est le plus pertinent quand il s’agissait de demander guérison à un dieu.
Le régime alimentaire sans viande, un thème qui nous parait pourtant fondamentalement moderne, était déjà débattu.
En effet le régime carné était considéré par certains comme source de bien des malheurs, surtout pour sa capacité à rendre l’homme gras, oisif et violent.
Les nymphes possédaient ce penchant avec les intellectuels en quête de vertu d’avoir un régime végétarien, car elles se nourrissaient la plupart d’ambroisie et de nectar, cette nourriture divine qui leur apporte une certaine longévité.
Pourtant les nymphes qui accompagnent Artémis sont des chasseresses, étaient-elles flexivores ?

Des esprits féminins

On serait en droit de se poser la question de la parité chez les esprits de la nature, on évoque souvent les satyres comme des compagnons naturels des nymphes, mais ces hommes-boucs sont plutôt peu cités.
Une femme incarne mieux cette nature féconde et nourricière, car elle est la détentrice des mystères ultimes de la procréation et elle est seule capable d’accouchement et d’allaitement.
Le mot nymphe est aussi employé pour désigner de jeunes filles non mariées et il est probable que les anciens aient souhaité marquer un passage entre enfance et âge adulte en utilisant le concept des nymphes.
Les nymphes sont désirées autant par les dieux que par les mortels, leurs multiples aventures, parfois adultères font malgré elles une personnification de l’amante.
Au vu des mœurs des dieux, on peut imaginer que les anciens devaient trouver là une explication à leurs infidélités.

Le pouvoir des nymphes

La nympholepsie

Par Junon, le charmant lieu de repos ! Comme ce platane est large et élevé ! Et cet agnus-castus, avec ses rameaux élancés et son bel ombrage, ne dirait-on pas qu’il est là tout en fleur pour embaumer l’air?
Quoi de plus gracieux, je te prie, que cette source qui coule sous ce platane, et dont nos pieds attestent la fraîcheur? ce lieu pourrait bien être consacré à quelques nymphes et au fleuve Achéloüs, à en juger par ces figures et ces statues.
Goûte un peu l’air qu’on y respire : est-il rien de si suave et de si délicieux? Le chant des cigales a quelque chose d’animé et qui sent l’été.
J’aime surtout cette herbe touffue qui nous permet de nous étendre et de reposer mollement notre tête sur ce terrain légèrement incliné.[…]
Écoute -moi donc en silence; car ce lieu a quelque chose de divin, et si les nymphes qui l’habitent me causaient dans la suite de mon discours quelque transport frénétique, il ne faudrait pas t’en étonner. Déjà me voici monté au ton du dithyrambe.

Platon, Phèdre.

Ce texte de Platon où Socrate a la parole montre le lien entre l’inspiration, le sentiment du sacré et la nature. Un plaisir des sens capable d’apaiser l’âme, de faire oublier tous les soucis, et de provoquer des transports même pour un Socrate bien attaché à sa ville qui craint que son lâcher-prise nuise à sa raison.
L’extase produite engendre parfois l’inspiration, un don des nymphes, dont les muses sont directement les allégories.
Inspiré, en pleine conscience, un humain peut donc être possédé par les nymphes.

Guérison et sagesse

Alexandre, fils de Priam et pasteur sur le mont Ida, conçut de l’amour pour Œnone, fille de Cébrène. Inspirée par un dieu, cette jeune fille, dit-on, prédisait l’avenir, et jouissait d’ailleurs d’une grande réputation de prudence et de sagesse. […] Elle ajoutait qu’il serait blessé dans cette guerre, et qu’elle seule pourrait le guérir.

Parthénios, aventures d’amour, IV.

Esprits des sources et des plantes, les nymphes sont capables de soulager les mortels de leurs maux, blessures physiques et psychiques.
L’antre des nymphes est souvent une grotte, cet endroit sombre et mystérieux est à la fois un abri protecteur et une connexion symbolique aux profondeurs de la terre, la source des mystères des eaux ressourçantes et régénératrices.
Cette proximité avec les forces primaires de la nature leur permet une connaissance intime du monde qui les entoure, mantiques et prophéties sont ainsi les conséquences d’une profonde observation.

Le nymphée, une consécration de l’eau

Quand le charme d’un lieu opère, de manière sensitive et intuitive, c’est quelque part un sentiment du sacré qui provoque en nous une pure communion.
Pour communiquer l’esprit de ce lieu, il semble naturel que les hommes ensemble, y rendent un culte, et même qu’ils soulignent matériellement cet espace particulier.
La grotte d’où l’eau surgit est une image souvent reprise dans la représentation des lieux habités par les nymphes.
Calypso, célèbre nymphe de l’Odyssée d’Homère, semble vivre dans une grande caverne.
La grotte est un abri durant un voyage, un refuge le temps d’une étape où il est agréable de se reposer et de reprendre des forces, voir de soulager ses maux.
L’eau, essentielle à la vie peut y surgir pure, belle et salvatrice.
Un nymphée est une consécration naturelle ou architecturale, où dans ce dernier cas une source est mise en valeur par l’ingéniosité des constructeurs, par des canaux et des fontaines parfois monumentales.
Cette manière de célébrer la vie, par un de ses éléments vitaux, l’eau, n’a pas disparu, fontaines, thermes et bassins relèvent aussi, dans un cadre public ou privé, de cette forme de communion.

Quelques termes de notre culture actuelle qui font directement référence à une nymphe :

Calypso, Écho, Menthé (la menthe), Lotis (le lotus), Rhodes (voir Rhodé), Syrinx (les roseaux de la flûte de Pan), Narcisse (voir Liriope), Sparte (voir Sparta).

Vous trouverez en page 2, la liste des nymphes de la mythologie grecque, en page 3, les nymphes dans d’autres traditions et en page 4, les sources et références documentaires.

Dernière mise à jour en mai 2020.

Vous avez aimé cet article ? N'hésitez pas à le partager :